21/06/2018

Le mouvement bodypositive : Militer par et pour les corps sur Internet

Bonjour à tous.tes, aujourd'hui je voulais vous partager un texte théorique j'ai écrit dans le cadre de ma licence, une réflexion à propos du bodypositive. Depuis mon article sur mon rapport au bodypositive publié en octobre 2016, ma pensée a bien évolué et s'est complexifiée. Je vais vous parler aujourd'hui du bodypositive mais aussi de ses origines, ses enjeux, ses dérives et son futur. Je vous souhaite une bonne lecture et vous invite à me donner vos avis, réflexions sur le sujet.

N.B. Je tiens à préciser que les exemples donnés et développés sont des choix subjectifs qui me semblent représentatifs. Comme vous le verrez au cours de ma réfléxion, le mouvement bodypositive est un flux d'images insaisissable où il est difficile d'organiser et rassembler. J'ai tenté de rassembler des bribes de celui-ci, aussi justement que possible pour proposer un début de réflexion.





Le mouvement bodypositive
Militer par et pour les corps sur Internet

Leclerc Clémence




Depuis trois ans environ, nous voyons l’émergence d’un mouvement sur les réseaux sociaux, le bodypositive. A la base, il ne s’agissait que d’un hashtag mais petit à petit, celui-ci s’est tellement répandu que nous parlerons de mouvement. Le bodypositive est décrit, comme son nom l’indique, comme une façon de penser son corps de façon positive. Il vise à éloigner tous les diktats de beauté, représentant ainsi des physiques peu représentés dans les médias comme les corps non-minces, non-valides , non-blancs… 

Le bodypositive, en tant qu’hashtag, est le plus souvent utilisé sous des selfies d’internautes qui postent des photos de leur corps, l’assument, et incitent les autres à faire de même. Cela prend place la plupart du temps sur Instagram, le plus important réseau social de l’image. Cette pratique a pris tellement d’ampleur qu’il existe aujourd’hui de plus en plus de comptes dédiés uniquement au bodypositive. 
Cependant, ce qui est appelé mouvement bodypositive de nos jours, ce n’est pas seulement les publications qui contiennent cet hashtag, mais toutes les initiatives qui suivent cette mouvance. Ces initiatives peuvent être des témoignages écrits (livres, blogs, tweets …), parlés (podcasts, vidéos), des œuvres artistiques (vidéos, photographies, œuvres plastiques, performances, tatouages) ou parfois même des actions politiques (pétitions). Cette mouvance est devenue si importante et s’est développée sur tellement de médias différents qu’il serait réducteur de parler seulement de l’hashtag dédié. 
Outre la simple ode à l’amour de soi, les enjeux du bodypositive sont pourtant plus complexes. Tout d’abord, il est important de remarquer que l’image donnée du bodypositive est surtout celle de selfies pris par des internautes. S’incluant dans l’ère du selfie, ce mouvement est donc souvent jugé comme superficiel, narcissique alors qu’il tend à une vraie revendication. A l’inverse, nous retrouvons des initiatives artistiques n’étant pas des selfies, considérées uniquement à travers un prisme de revendication, perdant leur qualité artistique.

Enfin, nous devons rappeler que ce mouvement prend place sur Internet, et sa voix est majoritairement portée par des femmes, bien qu’il ne leur soit pas réservé. Ces deux points sont à prendre en compte car ils influent sur la réception de ce mouvement, aussi bien par les internautes anonymes que par les médias. Se décrivant comme inclusif de tout type de corps, le bodypositive n’est pas toujours représenté comme tel dans la réalité des faits. 

En comprenant les formes et enjeux complexes de ce mouvement qui me suit depuis plusieurs années, je vous propose ma réflexion sur le sujet. Nous verrons dans un premier temps quelles formes peuvent prendre le bodypositive, puis, nous questionnerons son engagement politique et, enfin, nous étudierons les réactions qu’il engendre.   



La forme de bodypositive la plus répandue dans l’imaginaire collectif est le selfie posté sur Instagram. Le selfie est assez régulièrement accompagné d’une légende où l’internaute raconte le chemin parcouru avec son corps et/ou d’un ou plusieurs slogans de positivité.
Un des comptes emblématiques du bodypositive et représentatif du mouvement selon moi, est celui d’une américaine, Megan Jayne Crabbe, connue sous le pseudo de « bodyposipanda » sur Instagram. Elle fait partie de la première catégorie de représentations bodypositive, c’est-à-dire celles qui utilisent directement le terme bodypositive. Elle le reprend à la fois dans son pseudo en ligne par l’acronyme « bodyposi », dans la bio de son compte Instagram (« I like talking about bodypositivity ») et est en plus de cela auteure d’un livre Body Positive Power. Sur ce compte Instagram, elle partage des selfies souriants arborant ses cheveux violets, plus ou moins dénudée. Elle se distingue également par ses vidéos où elle se filme en train de danser où nous pouvons voir notamment son ventre et sa cellulite bouger.

Bien que plus rares et moins connues, des figures bodypositive francophones existent. Il y a par exemple Marine connue sous le pseudo « metauxlourds » sur Instagram. Marine a une approche spécifique du bodypositive car elle souhaite non seulement montrer que son corps gros existe et est légitime, mais cherche aussi à montrer qu’il peut être attirant au même titre que les autres. Ainsi, elle se définit comme bodypositive mais aussi comme sexpositive, c’est-à-dire qu’elle souhaite donner une image positive du corps, et de la sexualité. C’est grâce à ses nombreux selfies qu’elle s’est faite remarquer et est devenue petit à petit modèle photo. Les selfies qu’elle poste sont la plupart du temps très dénudés. Passionnée de lingerie, elle montre régulièrement les nouvelles pièces qu’elle reçoit. Sous ses photos, énormément de femmes la remercient pour son compte et leur témoignent de la confiance qu’elles ont gagné.

Les critiques souvent engendrées par cette florescence de selfies montrant des corps sont qu’il s’agit d’un narcissisme camouflé, d’une envie de se montrer sur Internet sans convictions particulières. A ces critiques, de nombreuses internautes participant au bodypositive répondent qu’effectivement, elles sont narcissiques et qu’elles ont autant le droit de l’être que les personnes aux corps normés. Métaux Lourds répète à ce sujet que « montrer son cul sur Internet quand on est grosse, c’est un acte militant » . De nombreux comptes de personnes non-normé.e.s  qui s’aiment et le montrent peuvent être d’ailleurs qualifiés de bodypositive, alors l’auteur.rice ne le revendique pas nécessairement. Il est également bon de noter que les personnes non-normé.e.s, et surtout les femmes, sont beaucoup plus sujettes à cette critique de narcissisme que les personnes normé.e.s. En effet, les selfies de personnes aux corps minces participant au bodypositive semblent beaucoup plus tolérés, acceptés que ceux des personnes gros.se.s et/ou racisé.e.s . C’est également celleux qui peuvent être mis en avant dans le bodypositive au détriment des autres, mais nous y reviendrons plus tard. 

Résultat de recherche d'images pour "valie export action pants genital panic (1969"

Par ailleurs, nous pouvons noter que diffuser l’image de son corps comme forme de revendication ne date pas de notre ère du selfie mais de l’art féministe des années soixante et soixante-dix. VALIE EXPORT en est un exemple emblématique. Une des photographies les plus connues de l’art féministe est une photographie prise après une performance de l’artiste, Action Pants: Genital Panic de 1969. Lors de cette performance, l’artiste se rend à un cinéma qui passe des films pornographiques à Munich avec un pantalon troué à l’entrejambe. Marchant dans le public, elle provoque en confrontant directement celui-ci à ce qu’il voit à l’écran, le sexe féminin. Cette photographie, prise après la performance représente l’artiste assise, regardant l’appareil, avec l’entrejambe apparent et une mitraillette, symbole phallique, dans les mains. Elle a ensuite reproduit cette photographie et l’a diffusée en l’affichant dans les lieux publics. 

Cependant, comme je l’ai évoqué auparavant, le selfie n’est pas le seul médium du mouvement bodypositive.
Tout d’abord, toujours sur Instagram, nous ne retrouvons pas que des selfies mais également des messages de positivité et des illustrations.  Cela correspond à ce que peut poster Frances Cannon, illustratrice et poète bodypositive australienne. Dans ses illustrations, elle tente de représenter le plus de types de corps possibles. Nous y voyons des personnes gros.se.s, racisé.e.s, transgenres, poilues, en fauteuil roulant, en pleine menstruation… Elle associe très souvent ces représentations variées à des messages de positivité assez poétiques : « find acceptance within yourself », « my body is my forever home », « be your own everything », « I am as strong as a tree and my branches will reach my dreams ». 



Frances Cannon est également intéressante car elle a lancé un mouvement appelé le « Self love club ». Ce mouvement consiste à se tatouer ce slogan lancé par l’artiste. Si nous décidons de nous tatouer « Self love club », il faut respecter les règles du « club » qui sont d’être bienveillant avec soi-même et avec les autres. Beaucoup d’internautes ont décidé d’encrer ce slogan dans leur peau, faisant serment de tout faire pour s’aimer et semer l’amour.


Par ailleurs, le mouvement bodypositive prend place dans des initiatives artistiques plus importantes. Un exemple récent et marquant est le clip musical des Passantes de Georges Brassens réalisé par Charlotte Abramow, photographe et réalisatrice belge. Ce clip fut publié le 8 mars 2018 pour la journée de lutte internationale des droits des femmes. Pour ce clip où la réalisatrice a eu carte blanche, elle s’est inspirée de cette ode à la femme du texte des Passantes pour réaliser une ode à tous les types de corps féminins. Dans ce clip, elle représente des femmes de tout âge, de toute ethnie et de tout type de corps. Elle véhicule un message décomplexant en montrant des formes de vulves avec des aliments et objets du quotidien, des culottes peintes en rouge représentant les règles, des femmes musclées et des grosses dénudées. Bien que non sexualisé, ce clip a eu un tel impact qu’il a été censuré dans certains pays, parfois pendant plusieurs semaines, et est toujours interdits aux moins de 18 ans sur la plateforme YouTube en France.


Enfin, une autre initiative qui a eu de l’impact dans les médias récemment est le projet Cher Corps de Léa Bordier. Ce projet a débuté en novembre 2016 et continue encore aujourd’hui. Il prend la forme de vidéos postées sur YouTube où des femmes sont invitées à parler de leur rapport au corps. Chaque vidéo concerne une femme en particulier. Nous y retrouvons tout type de femmes, de tout âge, toute ethnie et type de corps. Sont abordées différentes problématiques liées au corps comme la grossophobie , le handicap ou l’anorexie. 

Il est assez compliqué de dater le début de la mouvance bodypositive. Il y a bien un site sur Internet que reprennent des articles sur le bodypositive (celui du site madmoizelle.com par exemple) qui date celui-ci à 1996 et identifie deux initiatrices. Cependant, il me semble qu’il s’agirait plus d’un site commercial bien référencé qu’autre chose car l’hashtag bodypositive, les blogs bodypositive et leur médiatisation sont bien plus tardifs.
De plus, avant le bodypositive, l’idée d’une acceptation du corps remonte aux années soixante. Elle naît du mouvement appelé fat activism, qui comme son nom l’indique lutte pour les personnes gros.se.s, aussi bien pour leur représentation que pour leurs droits. Celui-ci débute aux Etats Unis, pays extrêmement touché par l’obésité et la culture de la diète, mais se démocratisera progressivement. Ce mouvement a commencé en 1969 avec la National Association to Advance Fat Acceptance et le travail de la Fat Underground dans les années soixante-dix. Ces associations se sont organisées pour lutter contre les oppressions matérielles que subissent les gros.se.s, à savoir la discrimination à l’emploi, les structures médicales et l’urbanisme non adapté, la difficulté à s’habiller. Elles se sont aussi mobilisées pour créer des espaces de non-mixité où les personnes gros.se.s pouvaient se soutenir et se sentir en sécurité. 
Une des initiatives du fat activism qui pourrait être qualifiée de bodypositive aujourd’hui, ce sont les cours de sports en non-mixité dans les années quatre-vingt. Le but était de donner une nouvelle image des cours de sports traditionnels où les gros.se.s étaient moqué.e.s et où le rythme n’était pas adapté à leur morphologie. Cette mouvance de sport non-mixte a été lancée par un groupe d’action Large as Life à Vancouver, au Canada. Grâce à ce groupe, en 1984, treize salles à Vancouver proposent des cours de sport uniquement pour les femmes grosses. Grâce à un autre groupe de fat activists, en 1985 le magazine Radiance place une femme grosse en tenue d’exercice en couverture, et montre des images des cours d’aérobic en non-mixité. Cela va inspirer de nombreuses salles qui vont proposer ce type de cours dans les états de l’Illinois, New York, Texas et Virginie. Un livre dédié va être publié en 1988, Great Shape : The First Exercise Guide for Large Woman pour casser les codes et montrer que les grosses peuvent être sportives. 

Il est intéressant de parler du fat activism car il est régulièrement comparé au bodypositive. De plus en plus de femmes sur Internet expriment qu’elles se sentent plus proches du fat activism et qu’elles ne se sentent plus inclues dans le bodypositive. La critique majeure du bodypositive est qu’en y incluant tout type de corps, les personnes normé.e.s peuvent se mettre en avant et effacer la représentation de minorités. La militante grosse et racisée Kiyémis confie dans un article pour Buzzfeed « Plus je cliquais sur les hashtag #bodypositive, moins je voyais de corps qui me ressemblaient. Le jeu des réseaux sociaux faisait qu’au sein même de ce qu’on appelle la « sphère body-positive » , les corps les plus valorisés via les likes étaient ceux qui déviaient le moins de la norme ». Elle critique le fait que même dans cette mouvance censée être bienveillante, les mêmes schémas de beauté se sont répétés. Une femme blanche comme Ashley Graham, mannequin grande taille va être glorifiée, admirée tandis qu’une femme noire comme l’actrice Gabourey Sidibe va être considérée comme courageuse, pour l’effort… La journaliste britannique Jessica Lindsay porte des critiques similaires sur Metro News : « The present movement lacks direction and focus, and prioritises the thoughts, perspectives and visibility of white, able-bodied, cisgender women with hourglass-shaped or smaller bodies » . 
Les militantes grosses qui s’incluaient dans le bodypositive regrettent le fait que celui-ci devienne une simple ode à s’aimer. Elles souhaitent que la grossophobie soie comprise comme une discrimination à part entière. Un défaut du bodypositive est qu’il peut mettre sur le même piédestal une personne mince qui n’aime pas regarder ses cuisses dans le miroir et une grosse qui est moquée, discriminée chaque jour. Bien sûr, nous pouvons, peut importe notre corps, porter un regard discriminant sur nous-mêmes, mais lorsque l’on est gros, ces regards discriminants viennent de toute une société. Ces mêmes réflexions s’appliquent également au racisme et au validisme dans le mouvement bodypositive. 

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Les militantes déçues par le traitement de la grossophobie dans le bodypositive trouvent aujourd’hui refuge par exemple dans l’association Gras Politique. Cette association se place sur la lignée du fat activism et propose des groupes de paroles pour parler de la grossophobie. Elle organise également des évènements ouverts en non-mixité comme des cours de yoga, des sorties piscine ou des vides dressings. Accompagnant l’essor du bodypositive, une pensée fatpositive semble se dégager depuis fin 2017. Le 15 décembre 2017, Anne Hidalgo, maire de Paris, organise une journée contre la grossophobie à l’Hôtel de Ville. Elle y convie des militantes de toute nationalité pour des tables rondes sur le sujet et organise un défilé de mode grande taille. Le 23 mai 2018 sort un livre, Gros’ n’est pas un gros mot, écrit par les deux fondatrices de Gras Politique, Daria Marx et Eva Perez-Bello. Livre poche d’une centaine de pages, il explore chapitre par chapitre les différents types de discriminations que subissent les gros.se.s en livrant leurs témoignages. La sortie de ce livre est très importante car il est l’un des rares ouvrages en français démocratisant les fat studies.


Par ailleurs, peu importe que nous nous sentions plutôt bodypositive ou fatpositive, les commentaires désobligeants envers les militant.e.s fusent sur Internet. Métaux Lourds prend la parole dans une vidéo de la youtubeuse SheToutCourt  en disant que des amies à elle qui avaient osé poster une photo en maillot de bain sur Twitter ont subi des harcèlements organisés. Par harcèlement organisé, nous signifions menaces de mort, menaces de viol et recherches de données personnelles privées. Comme je l’ai évoqué auparavant, ces conséquences visent d’avantage les personnes non-normé.e.s que les personnes normé.e.s. Par exemple, sous la vidéo de Brut qui fait parler Eva Perez-Bello à propos de son combat contre la grossophobie, nous retrouvons énormément de commentaires très insultants. Dans les commentaires, il lui est par exemple proposé de mourir, de perdre du poids en allant à la salle, tout en la qualifiant de « vache », « cachalot » et autre « gros sac ». En étant anonymes sur Internet, les internautes se lâchent et harcèlent volontairement les personnes qui militent par et pour une acceptation du corps. 

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M. ABRAMOVIC, Rythm 0, 1964

Dans une certaine mesure, nous pouvons comparer ces interactions entre militantes et internautes avec les interactions entre artistes féministes et visiteurs dans des performances interactives des années soixante et soixante-dix. Je pense particulièrement aux performances iconiques, Rythm 0 de Marina Abramovic, 1974 et Cut Piece de Yoko Ono, 1964. Dans la première performance qui a au total duré six heures, Marina Abramovic est dans une pièce où elle dispose un certain nombre d’objets autour d’elle. Certains de ces objets ont une fonction de douceur (plume, fleur…) et d’autres de douleur (pistolet, couteau…). Elle dispose son corps dans une pièce et laisse les visiteurs faire ce qu’ils veulent avec ces objets. Elle finit cette performance, les vêtements découpés, la peau scarifiée lorsque quelqu’un pointe une arme sur sa tempe. Dans Cut Piece, Yoko Ono se dispose dans une pièce en laissant des ciseaux à disposition. Nous voyons les visiteurs passer et découper ses vêtements. Avant l’existence d’Internet, ces performances questionnaient déjà ce qu’il pouvait se passer si on laissait à disposition le corps des femmes. 

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Comme le regrettent les militantes grosses, les personnes normé.e.s sont de plus en plus nombreux.ses dans le mouvement, et sont également mis.es en valeur par les médias. Nous retrouvons sous l’hashtag bodypositive une florescence de publications de personnes montrant qu’elles ont perdu du poids, qu’elles mangent selon la mode healthy ou qu’elles sont à la salle de sport. Cette perte de représentation de personnes gros.se.s, racisé.e.s, non-valides se fait ressentir dans la manière dont le sujet est traité par les médias. Cette une de Cosmopolitain du mois de mars 2018 représente pour moi toute l’absurdité du traitement du sujet. Dans les titres, nous retrouvons en petit « Enquête : Le bodypositivisme, c’est quoi ? » puis en gros, juste en dessous « Bien dans mon corps : Un test pour trouver son sport + des idées fun pour mincir ». Dans un premier temps, nous pouvons constater que comprendre le bodypositive est moins important à mettre en avant sur leur une que des « idées fun pour mincir ». Ensuite, le magazine appelle la rubrique liée au sport et à la minceur « bien dans son corps », ce qui rejoindrait l’idée du bodypositive justement. Cependant, le magazine semble véhiculer que non, « bien dans son corps » c’est faire du sport et mincir dans le fun, à l’image de ce que véhiculent les personnes normé.e.s du bodypositive. 

D’autre part, même les médias féminins considérés comme féministes comme Madmoizelle (bien que controversé) traitent le sujet de manière hasardeuse. Dans un article de 2017  qui décortique les tendances du bodypositive, le site donne une image extrêmement mauvaise du fatpositive : « Dans cette logique, le #FatPositive tend parfois à la critique du corps mince ou maigre, et de la nourriture saine. », « De plus, l’injonction à « mal manger » peut pour le coup poser problème quand il s’agit de préserver sa santé ! ». D’une part, il est dit que le fatpositive est contre les minces, alors que ce n’est absolument pas son sujet. Le sujet du fatpositive, comme nous l’avons décrit précédemment, est de lutter contre la grossophobie, ce qui est bénéfique à tous.tes. D’autre part, nous retrouvons l’argument commun de « l’injonction à mal manger », autrement appelé « apologie de l’obésité » dans certaines critiques. Premièrement, tous.tes les gros.se.s ne mangent pas « mal » (que veut dire mal manger ?) car la nourriture n’est pas la seule cause de l’obésité. Deuxièmement, les gros.se.s demandent simplement à être représenté.e.s dans les images, à vivre tranquillement et ne prônent pas le fait d’être obèse puisqu’elleux-mêmes en souffrent quotidiennement. En conclusion, l’article nous dit à propos du bodypositive « Voilà enfin un bon équilibre entre estime de soi et santé » et reparle encore de santé, alors que le bodypositive n’a rien à voir avec celle-ci et prône également des personnes handicapées qui ne sont pas en bonne santé...


Le marketing peut également totalement réutiliser la mouvance bodypositive en la comprenant mal. C’est le cas par exemple d’une campagne de la marque de prêt à porter Zara, « Love your curves » qui a fait un énorme badbuzz . Le slogan de la campagne, « Love your curves » est un slogan que nous retrouvons souvent dans le bodypositive pour inciter à aimer les courbes de son corps. Le problème est que Zara associe ici ce slogan à l’image de deux femmes complètement normées, très minces. Les seules courbes que nous voyons sur l’image sont leurs fesses. Ainsi, Zara parle de « curves » pour désigner la courbure des fesses qui est totalement normale chez une femme alors que ce slogan vise d’avantage les femmes ayant des bourrelets, des hanches très larges, des fesses volumineuses.


A l’inverse, une autre marque de vêtement, Asos, utilise à bon escient le bodypositive dans sa campagne. Dans sa dernière campagne de pub appelée « Live curious » de mars 2018, la marque met en avant tout types de physiques, c’est-à-dire différentes ethnies et corpulences. Le propos de la marque avec ce terme « curious » est d’être curieux dans son style de vêtement, d’oser porter des choses hors normes. La marque fait donc naturellement le lien entre la diversité de ses styles de vêtements et la diversité de corps qu’il existe, ce qui est assez intelligent. De plus, elle est dans une démarche bodypositive jusqu’aux vêtements puisqu’il y a une grande gamme de vêtements dédiés aux personnes grandes tailles, adaptées à leur morphologie. La marque se fait également remarquer par son désir de ne pas retoucher la peau des modèles qui posent avec les vêtements. Nous voyons donc la cellulite, les bourrelets et les vergetures des modèles qui posent pour Asos


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Comme nous avons pu le voir au cours de cette réflexion, l’esprit bodypositive est très présent mais n’est pas pour autant toujours accepté, bien interprété et bien représenté. Cependant, comme j’ai pu le souligner au cours de cette recherche en mêlant des initiatives passées et récentes, des initiatives importantes pour le mouvement bodypositive sont en chemin et redonnent espoir.

Souvent, je me pose des questions sur l’avenir du bodypositive. L’activisme va-t-il peu à peu quitter Internet et s’inscrire dans le monde réel ? Va-t-il s’organiser ou allons-nous rester dans une individualité ? Allons-nous quitter nos miroirs et aller dans la rue ? La dernière partie de l’ouvrage The Fat Studies Reader  nous interroge à ce propos. Elle pose dans un premier temps la question de pourquoi les personnes gros.se.s n’ont pas organisé une résistance. La réponse à cela est qu’être un.e gros.se peut être un état passager, et qu’il est compliqué de construire un mouvement sur ces bases. Il est également avancé que les institutions de nos jours tendent tellement à critiquer les gros.se.s qu’il serait très dur de changer les mentalités et que l’on se confronterait au ridicule, ce qui peut être d’autant plus difficile à vivre. De plus, il y a un ensemble d’industries qui feraient faillite demain si les corps gros étaient acceptés. Pensez par exemple à l’industrie de la nourriture de régime, celle des livres de régimes ou celle de la chirurgie bariatrique. Combien de million de dollars perdraient-elles ? Enfin, il faut bien prendre en compte que la grossophobie est un conditionnement et concerne tout notre système. Il n’y a pas les minces qui critiquent les gros.se.s d’un côté et les gros.se.s gentil.le.s de l’autre. Les personnes gros.se.s peuvent également être grossophobes, malheureusement. Ainsi, rêver union et résistance est peut-être de l’ordre de l’utopie.


Sources :

C. COOPER, Fat Activism : a Radical Social Movement, 2016, Hammeron Press, Bristol
D. MARX, E. PEREZ-BELLO, ‘Gros’ n’est pas un gros mot, Chroniques d’une discrimination ordinaire, 2018, Librio, Paris
E. ROTHBLUM, S. SOLOVAY, The Fat Studies Reader, 2009, New York University Press, New York

Art féministe

R. MOIRA, The amazing decade : women and performance art in America : 1970-1980 : a source book, Astro Artz, 1983

Articles

J.LINDSAY, Why I’m no longer using the term ‘body positive’, 5 juin 2018, Metro, www.metro.co.uk

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